"Malheureusement, le sondage obtient des résultats sans connaître la véritable problématique du sujet qu'il examine." - Jacques Pilhan (conseiller en communication de François Mitterrand et Jacques Chirac)

Depuis leur invention dans les années 1930¹, les sondages d'opinion ont fait l'objet de nombreuses critiques. Certains, comme Pierre Bourdieu, ont même remis en cause la définition de l'opinion publique telle que présentée par les instituts².

Mais concrètement, pour les communicants politiques — qui sont des praticiens qui cherchent à comprendre et à convaincre le public en vue d'une échéance électorale — les sondages d'opinion sont-ils vraiment efficaces ?

Les échecs notables des sondages sont nombreux, comme en témoignent les prévisions erronées concernant les performances électorales d'Édouard Balladur en 1995³ ou de Donald Trump 20 ans après, en 2016⁴. Ces erreurs sont-elles des exceptions, ou révèlent-elles plutôt les limites intrinsèques de cette méthode ?

Cet article montre que les sondages sont peu efficaces pour comprendre l'opinion publique.

Quatre limites majeures sont discutées :

Pour conclure, nous explorerons les alternatives modernes aux sondages quantitatifs.

Biais méthodologiques

Vous êtes un parti politique souhaitant placer un candidat à Versailles pour les élections municipales de 2026. Vous faites appel à l'un des nombreux instituts de sondage français⁵ pour « tester » l'opinion de la commune sur votre candidat.

Le sondage pose la question « Voteriez-vous pour ce candidat s'il se présentait aux élections municipales ? » à un échantillon représentatif de 500 Versaillais. Après beaucoup de temps et d'argent investis — nous y reviendrons — le résultat tombe : 53 % des Versaillais sont en faveur du candidat.

Vous êtes confiant, jusqu'à ce que vous découvriez que la marge d'erreur est de 4,3 %. Le résultat final se situerait donc entre 48,7 % et 57,3 %. Cette nouvelle est problématique, car la victoire n'est pas garantie, en tout cas au premier tour.

La marge d'erreur est grande pour deux raisons. D'abord, elle est statiquement plus grande lorsque le candidat est proche de 50% d’opinion favorable — justement lorsque le parti a besoin de résultats précis⁶. Ensuite, l'échantillon est trop restreint. Pour obtenir une marge d'erreur plus favorable, il faudrait le même résultat avec un échantillon de 3 000 sondés, ce qui donnerait un résultat final entre 51,2 % et 54,8 %⁷. On peut résumer ce problème de taille (sans mauvais jeu de mot) par cette phrase de Jean-Luc Tavernier:

Les instituts de sondages font beaucoup de choses à 1 000 ou 2 000 enquêtés qui sont quand même pour nous un chiffre un peu bas.¹⁰ - Jean-Luc Tavernier (Directeur de l’INSEE)

Cette nouvelle marge d'erreur de 1,8 % pourrait sembler satisfaisante, mais elle ne garantit en rien que le résultat final sera compris dans cet intervalle. Il s'agit d'un intervalle de confiance : nous sommes confiants à 95 % que le résultat final s'y trouve. Certes, mais les événements rares, de l'ordre de 5 %, ça arrive. D'autant que cet intervalle repose sur des hypothèses statistiques qui sont, au mieux, proches de la réalité et, au pire, fausses.¹¹

Autre problème : pour être le plus représentatif possible, notre échantillon doit être aléatoire. Or, dans les faits les instituts n’utilisent pas d’échantillons aléatoires, trop durs à mettre en pratique, mais des quotas, pour construire artificiellement un échantillon représentatif de la population. L’idée est d’interroger des sondés par téléphone ou internet et de “redresser” les résultats pour qu’ils soient représentatifs de la population sur la base de variables socio-démographiques : le sexe, l’âge, la profession, la région et la taille de la commune¹².